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Philippe Bacq
"UNE PASTORALE D'ENGENDREMENT"
Extraits d'une conférence du Père Philippe Bacq, jésuite (*).
1 - Beaucoup de non-croyants sont "fils de Dieu" par leur attitude, et sont déjà dans le Royaume.
2 - Il convient "d'agir comme Jésus" et d'apprendre à voir l'action de Dieu présente en eux.
3 - Jésus n'a pas appelé tous les hommes à devenir disciples: il se met au service du désir le plus authentique de chacun.
4 - Nous pouvons "semer", et multiplier les propositions en direction de ces "gens du Royaume".
Pour une étude plus approfondie se reporter au livre "Une nouvelle chance pour l'évangile", Ed. de l'Atelier 2008.
Il m'a été demandé de vous présenter ce que nous mettons sous les mots "pastorale d'engendrement".
Nous faisons tous de la pastorale d'engendrement. Mais on peut le faire de façon plus consciente, plus décidée, plus clairvoyante.
On pourrait qualifier la pastorale d'engendrement comme ceci: elle est une manière d'être en relation et une manière d'agir inspirées par l'Evangile qui permettent à Dieu d'engendrer des personnes à sa propre vie.
Pourquoi vivons-nous aujourd'hui une sorte de "panne de transmission"?
J'aime bien rappeler une boutade du cardinal Danneels: "L'Eglise, disait-il, est comme un jardin. Dans ce jardin poussent trois malheureuses pommes de terre et tout le monde s'affaire autour de ces pommes de terre. Mais qui s'occupe du reste du jardin?".
La question est bien là: et le reste du jardin? C'est-à-dire tous ceux et celles qui ne fréquentent plus nos eucharisties, ne viennent plus à nos célébrations pénitentielles et vivent très bien sans être baptisés ou mariés à l'église.
Nous vivons dans nos régions un changement culturel absolument nouveau et unique. Nous sommes confrontés à une question toute nouvelle surtout sensible chez une majorité de jeunes.
Chez nous, la personne dans ce qu'elle a d'unique a progressivement pris le pas sur son groupe d'appartenance. Elle a revendiqué et obtenu son autonomie, le droit de dire "je", d'être considérée pour elle-même, différente des autres, sans être réduite au clan, à la famille ou à la religion à laquelle elle appartient. De ce fait, dans nos régions, l'individu éprouve le besoin de faire l'expérience personnelle de ce qu'on lui propose de vivre. S'il ne peut expérimenter par lui-même ce qui est bon pour lui, il ne se sent pas concerné.
Un jeune le disait à sa manière: "Peu m'importe que Jésus-Christ soit le fils de Dieu, ce qui m'importe c'est ce qu'il m'apporte". Cette affirmation est évidemment à prendre avec un peu de recul, mais il faut aussi entendre ce qui est dit là: si nous transmettons un message qui ne touche pas la personne et ne l'aide pas à vivre ici et maintenant, notre parole aurait beau être vraie, elle restera lettre morte. C'est toute une manière d'envisager la vérité qui est ici en question.
Les jeunes vivent aussi le temps présent de façon radicalement différente. Ils sont tout entiers dans l'instant qui passe, peu préoccupés de préparer un avenir qui est trop incertain à leurs yeux. Mieux vaut jouir de la vie tout de suite, maintenant. C'est une exigence redoutable pour les parents et les éducateurs. Si un jeune s'adresse à eux et qu'ils ne sont pas disponibles à cet instant, c'est souvent trop tard, l'occasion est ratée.
Vous voyez tout de suite les difficultés que cette nouvelle donne culturelle pose à la pastorale ordinaire des paroisses. Celle-ci était centrée sur le prêtre, l'essentiel passait par lui. Mais aujourd'hui, la majorité des jeunes ne vient plus trouver un prêtre parce qu'il est prêtre: ils vont trouver une personne, prêtre ou laïc qui a quelque chose de personnel à leur dire qui peut les toucher et les aider à vivre. Il n'est plus possible de "transmettre" la foi en privilégiant l'enseignement d'une doctrine. Dans notre culture, si ce savoir n'atteint pas la personne, il n'engendre plus la vie de Dieu en celui qui le reçoit.
Voilà un peu le terrain, la situation culturelle nouvelle à partir de laquelle a émergé ce qu'on peut appeler "la pastorale d'engendrement".
Elle a trouvé sa source dans l'évangile écouté et entendu à neuf grâce à une lecture rigoureuse et exhaustive des quatre récits évangéliques. Cette lecture nous a fait découvrir de nouvelles perspectives qui ne s'opposent en rien à la pastorale ordinaire de l'Eglise mais qui invitent à la relire et à la vivre d'une manière renouvelée.
Dans ces récits, l'expérience d'engendrement est centrale. Les trois synoptiques ouvrent le récit de la vie publique de Jésus par une expérience particulièrement forte de Dieu qui lui fut donnée juste après son baptême. Dans Luc, alors qu'il priait, l'Esprit lui fut donné et une voix vint du ciel: "Tu es mon fils, moi aujourd'hui je t'ai engendré". (Lc 3,22). Cette parole est placée au début du récit et ce n'est pas un hasard. Tout au long de son Evangile Luc nous montre ce que veut dire pour Jésus se laisser engendrer comme fils de Dieu.
Jésus accueille sans aucune discrimination tous ceux et celles qui viennent à lui. Il vit une proximité étonnante avec les plus pauvres. Il se fait proche avec un immense respect de tous ceux et celles que la société de son temps avait tendance à marginaliser:
Il guérit, il restaure, il chasse ce qui empêche les hommes et les femmes de devenir eux-mêmes.
Il nous montre, dans sa propre vie, par des paroles et des gestes d'homme, ce que veut dire "être engendré comme fils de Dieu". C'est pour cela que nous avons choisi ce mot "engendrement". Il est riche d'une densité théologique très forte. Dans les Actes des Apôtres, le même Luc l'utilise dans un discours de Paul pour signifier la résurrection donnée à Jésus par le Père: "Tu es mon fils moi aujourd'hui je t'ai engendré" ( Actes 13,33).
Jésus nous enseigne cette manière-là de devenir fils et filles de Dieu. Sur ce point, un récit de l'Evangile de Matthieu est très significatif (Mt 5, 1-12). Jésus est sur la montagne. Quelques disciples sont auprès de lui et une multitude de juifs et de païens l'entoure. C'est la première fois qu'il parle à la foule amassée devant lui ; or, la toute première parole qu'il lui adresse est un: "Heureux" ! Heureux les pauvres de coeurs, le Royaume des cieux est à eux. Heureux les doux..., les miséricordieux..., ceux qui pleurent devant l'injustice..., les assoiffés de justice..., les miséricordieux..., les coeurs purs..., les artisans de paix..., ceux qui sont persécutés pour la justice, le royaume des cieux est à eux. Par deux fois, le narrateur s'exprime donc au présent: le Royaume des cieux est à eux (Mt 5,3.10). Entre ces deux présents, il emploie le futur, par exemple: "ils seront appelés fils de Dieu ... ils verront Dieu..." (Mt 5,8-9).
Tous ceux et celles qui vivent spontanément selon les béatitudes, tous, sans aucune distinction de race ou de religion, sont déjà fils de Dieu et ils seront reconnus tels à la fin de l'histoire.
Dieu les a engendrés à son style de vie pourrait-on dire, car il est le premier à être pauvre de coeur, doux, juste miséricordieux...
C'est vrai aujourd'hui encore pour une multitude d'hommes et de femmes qui cherchent à vivre en faisant le bien, même s'ils ne sont pas baptisés, même s'ils ne fréquentent pas nos sacrements, même s'ils sont athées, agnostiques, dubitatifs ou indifférents. Ils deviennent fils et filles de Dieu par la qualité de leurs relations, vécues à la manière du Christ.
Un autre passage du même évangile confirme cette interprétation (Mt 25, 33-46). C'est la dernière parole publique de Jésus ; il évoque la fin de l'histoire et le jugement dernier.
C'est très significatif: le narrateur encadre tout son récit entre ces deux paroles publiques: les béatitudes au début et la description imagée du jugement dernier à la fin. Elles se répondent l'une l'autre.
Le Fils de l'homme est là, présent, et toutes les nations sont assemblées devant lui. Il met les uns à sa droite et les autres à sa gauche. A ceux de sa droite il dit "Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif vous m'avez donné à boire, j'étais nu vous m'avez vêtu, en prison et vous êtes venus me voir... Alors, les justes lui répondront: Seigneur quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire... Et le roi leur répondra: En vérité le vous le déclare chaque fois que vous l'avez fait à un des plus petits qui sont les miens, c'est à moi que vous l'avez fait".
Il y a une multitude d'hommes et de femmes qui cherchent chaque jour à faire un peu de bien autour d'eux comme ils le peuvent, à leur mesure. Selon l'interprétation évangélique de l'existence, le Christ ressuscité est présent dans leur vie, ils sont déjà fils et filles de Dieu, parfois sans qu'ils le sachent. "C'est à moi que vous l'avez fait" dit Jésus.
Voilà le point de départ de ce qu'on pourrait appeler une démarche d'engendrement.
Les hommes et les femmes du Royaume
Pour accueillir une telle démarche, il convient de commencer par un renouvellement du regard. Apprendre à regarder l'action de Dieu déjà présente dans la vie des personnes qui cherchent à vivre de cette manière.
Par leurs convictions, elles sont parfois très loin de nous. Elles portent pourtant dans leur vie la présence de Dieu, la présence du Christ. Un jour, l'occasion peut se présenter de la leur révéler, de leur montrer combien leur vie est précieuse aux yeux de Dieu ; car au regard de la foi chrétienne dès que se vit quelque part des relations authentiquement humaines, le Christ est présent, même si les personnes concernées ne croient pas en lui.
Ces hommes et ces femmes, nous les appelons "les hommes et les femmes du Royaume". Ils sont nombreux autour de nous.
C'est la source d'une immense espérance.
Je suis personnellement de plus en plus frappé du courage parfois surhumain que déploient des hommes et des femmes pour vivre les épreuves de la vie. Ils essaient de rester des humains dans des situations parfois totalement inhumaines. Dans leurs combats, il y a quelque chose de magnifique qui ressemble à l'émerveillement de Jésus quand il disait: "Je te loue Père..., d'avoir caché cela aux sages et aux savants et de l'avoir révélé aux tous petits. Oui Père, c'est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance" (Lc 10,21). Cette action de grâces de Jésus peut aussi devenir la nôtre.
Quand des hommes et des femmes viennent demander un baptême ou un mariage, nous devons souvent convenir qu'ils sont loin de ce que l'Eglise propose dans le sacrement proprement dit.
Pourtant, ils essayent de faire le bien autour d'eux. Ils communient aux valeurs de l'Evangile. Il nous faut alors commencer par porter un regard évangélique sur ce qu'ils vivent pour accueillir ce que Dieu a fait dans leur vie. Ils sont déjà dans son Royaume.
Le noyau des disciples
Bien évidemment, cette perspective ouvre une nouvelle question: en quoi consiste alors l'identité chrétienne proprement dite ? Un jour, durant un cours à Lumen Vitae, une maman s'est levée pour dire: "Dans ce cas, ça sert encore à quoi d'être chrétien" ?
Que veut dire être chrétien ? A nouveau, les récits des Evangiles permettent d'éclairer cette interrogation.
Les hommes et les femmes du Royaume apparaissent à de très nombreuses pages: le lépreux qui demande à Jésus de le purifier ; la femme atteinte d'un flux de sang qui se trouve guérie en touchant le vêtement de Jésus...
Ce qui est surprenant dans ces récits c'est que Jésus les guérit mais il ne leur demande jamais: maintenant que tu es guéri, est-ce que tu crois que je suis le fils de Dieu ?
Il ne leur demande pas non plus d'entrer dans son groupe de disciples. Après les avoir restaurés, il les renvoie à leur vie de tous les jours: "Prends ton grabat et va dans ta maison" (Mc 2, 11).
En d'autres mots, vis ta vie.
Il y a là, de sa part, une liberté qui nous surprend après plus de vingt siècles d'évangélisation.
Dans ces rencontres-là, il ne cherche pas à faire des disciples, des chrétiens. Il n' y a aucune exception, dans aucun récit des trois synoptiques, concernant ceux qu'il a guéris. Il se met au service de leur désir le plus authentique et puis il les renvoie à leur liberté.
En revanche il en appelle résolument d'autres, peu nombreux, à le suivre (Mc 1,16-20); en outre il accueille ceux et celles qui le suivent spontanément, comme Bartimée (Mc 10, 46-52) ou le groupe de femmes qui l'accompagnent (Lc 8, 2).
Quelles sont les caractéristiques de ce petit noyau ?
Tout d'abord, ils forment une communauté stable autour de lui. Les récits parlent en effet toujours "des" disciples.
On peut être un homme ou une femme du Royaume en restant seul; mais on ne peut devenir chrétien qu'ensemble, au coeur d'une communauté qui se réfère à lui.
Comment se forme cette communauté ?
Par la découverte du Christ. Un jour, des hommes et des femmes du Royaume le découvrent et sont attirés par lui. Ils s'attachent à lui, ils se laissent enseigner par lui; ils essaient de le suivre ; ils adoptent sa manière d'être et de vivre. A partir de ce moment, du tout nouveau peut advenir.
Au fond, c'est la caractéristique spécifique du chrétien. Si le Christ n'existait pas dans sa vie il lui manquerait quelque chose d'essentiel: le désir d'entrer en relation durable avec lui, de le prier personnellement, de le célébrer avec d'autres chrétiens.
Cette perspective issue de l'Evangile peut renouveler la compréhension de la pastorale sacramentelle de l'Eglise. D'une part, si le Christ n'était plus célébré publiquement par la communauté chrétienne, son nom finirait par s'effacer de notre culture; Dieu continuerait d'engendrer des hommes et de femmes du Royaume à son image, mais plus personne ne le saurait... D'autre part, célébrer la personne du Christ agissant dans les sacrements de l'Eglise permet d'entrer plus avant, plus consciemment dans le Royaume dont il est la figure accomplie.
Les apôtres
Dans le récit des Evangiles, parmi les disciples, seul le groupe des douze a reçu l'identité d'apôtre: "Il en établit douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec le pouvoir de chasser les démons" (Mc 3,14 et15). Ils vivent une relation au Christ spécifique que l'Evangile caractérise par l'expression "être avec lui" et "être envoyés" . Non seulement ils sont appelés à vivre eux-mêmes du Christ, mais aussi à l'annoncer aux autres. Annoncer la parole, rendre ainsi le Christ vivant parmi les hommes et femmes, chasser les démons, c'est-à-dire poser des gestes et dire des paroles qui libèrent notamment des culpabilités malsaines, rendre la joie d'exister comme fils et fille de Dieu. Telle est l'identité de l'apôtre.
Aujourd'hui encore, partout où des prêtres, des hommes et des femmes vivent une relation très personnelle au Christ, se sentent appelés à faire goûter l'Evangile à d'autres, à leur communiquer le Christ, et trouvent les paroles et des gestes qui les libèrent et les rassemblent, ils entrent dans cette identité d'apôtres.
Dans les récits, les apôtres sont désignés par leur prénom ; cela signifie le caractère très personnel de cet appel tout en situant chacun d'eux dans le groupe des Douze. On n'est jamais apôtre seul, et on ne peut le devenir en plénitude que par une reconnaissance officielle de l'Eglise.
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Hommes et femmes du Royaume, disciples, apôtres: il convient de laisser Dieu nous engendrer selon la grâce qui est la nôtre, à l'appel qu'il nous adresse selon la grâce qu'il nous donne.
Mais comment discerner et reconnaître cet appel ? Les chemins sont multiples et diversifiés.
Je ne suggérerai ici que trois propositions qui portent déjà du fruit.
1. Proposer largement l'Evangile à tous
Tout d'abord, proposer très largement de lire les récits de l'Evangile en groupes et de les croiser avec les récits de notre propre vie. Il faut bien sûr assurer un minimum de structures: des petits groupes où les participants sont à portée de voix les uns des autres ; des rencontres régulières, par exemple une fois par mois ; un animateur qui s'y connaît un peu et qui a déjà fait l'expérience de la lecture de l'Ecriture en groupe; un engagement de la part des membres du groupes à lire tout un récit du début à la fin ; le lire avec rigueur en étant attentifs aux mots utilisés par le narrateur, à la manière dont il agence son récit... A ces conditions, le lecture de l'Evangile est vraiment féconde.
Là où les sacrements ne sont plus célébrés régulièrement que par un très petit nombre de pratiquants, des souches chrétiennes commencent à renaître à partir de la Parole. Cette expérience est tout à fait significative d'une démarche d'engendrement. Grâce à cette lecture de l'évangile en groupe, certains lecteurs découvrent qu'ils sont déjà des hommes et les femmes du royaume. D'autres commencent à s'attacher à la personne du Christ, à le prier, à vivre avec lui une relation personnelle. Ils deviennent progressivement disciples. Parmi eux, certains se sentent aussi appelés à proposer à d'autres de lire l'Evangile avec eux: ils sont sur le chemin d'une identité apostolique.
C'est le récit qui fait naître ces trois "vocations" par sa propre dynamique. Nous n'avons pas la maîtrise de ce qui advient pour les uns et pour les autres. C'est le secret de Dieu. Laisser faire Dieu est une attitude spirituelle tout à fait essentielle dans une démarche d'engendrement. Il convient d'avoir l'audace de proposer l'évangile et ensuite d'accepter de perdre la maîtrise de ce que Dieu lui-même fait à travers la lecture des récits.
Comme un semeur
En même temps, dans une dynamique d'engendrement, les choses n'adviennent pas à partir d'un projet pastoral programmé à l'avance pour tous.
Dieu ne travaille pas à la machine à coudre, il fait du cousu main et chaque point est différent d'un autre. Il a trop le respect des personnes dans ce qu'elles ont d'unique. Il prend l'initiative de venir vers nous, mais à la manière du semeur. Il nous invite à adopter le même style.
Semer des petites réalisations symboliques ici et là, sur un terrain qui paraît approprié, comme on confie le grain à la terre. Puis abandonner la maîtrise de ce qui va se passer. Le semeur consent à lâcher la semence qu'il tient dans la main, à perdre le pouvoir qu'il a sur elle ; dans la foi, il la confie à l'action de Dieu.
C'est toute la différence entre efficacité et fécondité. Dans une pastorale qui se veut efficace nous avons tendance à déterminer des passages obligés pour être sûrs d'arriver à un "produit fini" prédéterminé à l'avance. Dans une attitude de foi, qui attend la fécondité de ce que nous semons de la main de Dieu, nous savons que ce que nous récoltons est toujours différent de la semence jetée en terre. Donc, semer de petites réalisations symboliques, là où c'est possible.
Souvent, les choses commencent par des relations de proximité: un coup de téléphone à une personne connue et que l'on sent en harmonie avec une telle proposition; une proposition: je souhaiterais lire l'Evangile avec d'autres, qu'est ce que vous en pensez ? Est-ce que vous voyez quelqu'un d'autre qui pourrait être intéressé ? Ainsi de bouche à oreille un petit groupe se forme.
Se montrer relationnel
Dans une démarche d'engendrement, les relations sont toujours premières ; ce sont elles qui suscitent les structures élémentaires qui permettent de durer dans le temps.
En parallèle à la pastorale sacramentelle ordinaire qui a toujours tout son sens, il importe aujourd'hui de semer des petits groupes de lecture d'Evangile.
Mais constituer des groupes de lectures d'Evangile n'est pas la seule réalisation possible. Loin de là. Ce peut être n'importe quelle réalisation symbolique qui aide les gens à mieux vivre.
Pensez au témoignage de ce matin avec Jean-Marc et Marité. Le premier a eu l'idée de mettre en commun les petites réalisations d'entraide de leur région; ensuite à deux ou trois ils ont lancé l'élaboration du projet des Assises. La petite idée a pris une ampleur à laquelle personne ne s'attendait.
2. Apprendre à raconter nos expériences pastorales
Une deuxième suggestion, qui est issue elle aussi de la lecture du Nouveau Testament: dans les Actes des apôtres quand Paul et Barnabé sont en mission et font escale dans une ville, ils rassemblent la communauté et racontent ce que Dieu a fait parmi les païens grâce à leur prédication.
C'est aussi un service que nous pourrions nous rendre les uns aux autres: partager le récit de nos rencontres et de nos initiatives, pour devenir plus conscients de ce que Dieu est en train de faire parmi nous.
Quand on y réfléchit, l'Evangile s'est constitué de cette manière. Jésus lui-même n'a rien écrit. Mais ses disciples ont pensé important d'écrire une multitude de récits des rencontres: avec un lépreux, une femme atteinte d'un flux de sang, un paralytique, un sourd, une prostituée, les disciples.... L'Evangile est une succession de petits récits de ce genre. Ils nous disent au mieux la manière de Dieu.
Si nous prenions l'habitude de nous raconter les expériences pastorales qui nous font vivre, cela ouvrirait notre regard sur ce que Dieu est en train de faire, ici, dans notre culture.
Il me semble qu'aujourd'hui la réflexion théologique elle-même a tout à gagner de se nourrir des réalisations du terrain.
3. Appeler à devenir apôtre: discerner
Une dernière suggestion, c'est d'apprendre à discerner, dans nos paroisses et dans nos mouvements, les personnes significatives ; celles que Dieu appelle à devenir apôtres.
Ce sont des hommes et ces femmes qui ont une relation très personnelle avec le Christ et qui, dans cette relation, se découvrent envoyés pour donner à d'autres le goût et la saveur de l'évangile. Des personnes à qui les autres font crédit et qui sont capables de fédérer autour d'elles par leur manière d'être.
Il convient de les repérer, de leur faire des propositions, de les accompagner et de leur procurer une formation.
Ensuite, avec elles, susciter de petites réalisations qui suscitent la vie, là où elles sont.
Engendrer, c'est toujours engendrer à la vie en accueillant la grande diversité de ces réalisations, et en essayant de les relier entre elles sous forme de réseau.
Voilà quelques intuitions de ce que nous avons appelé une pastorale d'engendrement.
Le Père Philippe Bacq, jésuite, habite Bruxelles et travaille au centre "Lumen Vitae".
(*) Voir texte un peu plus développé de cette conférence en http://www.eglise.catholique.fr/getFile.php?ID=1577 (pdf).